... le tailleur...
Au Gabon, le tailleur est tout une institution... Meilleur ami des demoiselles comme des moins jeunes. Il tient entre ces mains l'élégance de toutes les femmes gabonaises. Ceux qui me connaisse doivent imaginer à quel point, je m'étais préparée à ce grand moment !
Quelques semaines après mon arrivée, j'enquête autour de moi, on me conseille un certain Diallo... Mais quand on en vient aux directions pour trouver son échoppe, tout devient compliqué!Vanina m'accompagne pour ma première fois, c'est mon initiation à ce dédale de ruelles constituant le marché de Franceville. J'essaye tant bien que mal de prendre quelques repères pour être capable de revenir une prochaine fois : on descend la rue des magasins de tissus, on traverse l'allée des mamas aux légumes (tout en leur promettant de passer les voir après), en arrivant sur l'étal du boucher, on prend à gauche, de nouveau dans le marché couvert, il ne faut pas se tromper entre les deux allées parallèles dessinées par les stands de taule, de bois et de tissus.
C'est celle de droite. Une fois arriver là, plus de doutes, l'échoppe de Diallo est sur la droite. Une pièce carrée recouverte de tissu, éclairée au néon s'ouvre devant nous.
La télé dans le coin de la pièce joue une série télé en hindi, la qualité de l'image ne permet pas de lire les sous-titres.. Heureusement, les histoires d'amour télévisuelles étant les mêmes aux quatre du globe, la compréhension n'en est pas bouleversée.
Ils sont trois à travailler dans cet espace : notre Diallo, son collègue, Diallo et son collègue Zaccharia... Comme beaucoup de tailleurs, ils viennent d'Afrique de l'Ouest, de Guinée plus particulièrement pour eux trois.
Mais je précipite un peu le processus puisqu'avant de passer au tailleur, il faut bien sûr acheter un pagne. Un pagne est un coupon de tissu au format fixe. Il est normalement conçu pour pouvoir faire une jupe, un haut et un fichu dans les cheveux.... tout ça pour une maman africain. Conclusion ça me permet de faire 2 tenues complètes!
Une fois le tissu acheté, on revient donc voir notre ami Diallo. On s'assoit, le fauteuil s'affesse, on y est bien.
La première étape est immuable, comment ça va? Ça va bien. Et la famille ça va? La famille ça va. Et les amis, ça va? Les amis çà va. Et les sœurs ça va? les sœurs ça va... (Par simplification, toutes les femmes blanches sont soeurs...),....
On se décide à sortir le tissu que l'on acheté, et puis le modèle : cela peut être un vêtement déjà existant ou bien une image (dans ce cas le résultat n'est pas assuré).
Après avoir écouté d'une oreille nos explications, Diallo fait une moue sceptique, l'air penseur et pose quelques questions. Attention à ces questions, on a tout de suite une idée sur ce que vient de comprendre/ de ne pas comprendre Diallo. A défaut, il peut aussi te découper une petite maquette du tissu pour que tu puisses visualiser.
Il sort un cahier, sur la couverture duquel un cerf se balade en forêt, ouvre une page au hasard et commence à dessiner tout ce qu'on lui a raconté, note nos mensurations puis découpe des petits morceaux de notre tissu et les colle conscencieusement sur le dessin pour ce se souvenir du tissu qui va avec ce modèle. Le travail se complique quand plusieurs tissus se succèdent sur le même modèle.
Puis notre tissu va rejoindre la trentaine de ces collègues qui attendent déjà le travail de Diallo. En regardant ce monticule, on devient tout de suite sceptique quand il annonce un délai d'une semaine!
Au fur et à mesure des semaines et des samedis après-midi passés à menacer Diallo d'être très fâchée avec lui s'il ne rend pas le vêtement la semaine suivant. On finit par avoir nos petites habitudes : on ne fait presque plus attention à son accent ou à zozotement pourtant, les premières jours il était difficile de comprendre le mot Jupe derrière tous les zup' dont il nous rabattait les oreilles. Tout comme, son invitation à prendre un zu' qui ne prennait son sens qu'après avoir découvert qu'en Gabonais tout soda est jus.
On s'aperçoit assez rapidement qu'il ne commence à travailler sur nos affaires que lorsque l'on est présente. Il faut donc faire la conversation : la vie en Guinnée, la vie en France, le jour où il pourra acheter d'autres machines et recruter d'autres tailleurs pour travailler pour lui, la femme qu'il cherche,.... blabla Au détour des conversations, il essaye assez régulièrement de nous convaincre des bienfaits de la polygamie : " Non, mais tu sais, Marine, lorsque les deux rivales (= les épouses), elles s'entendent bien, bien, bien, bien, le mari, il est content. quand y en a une qu'a pas d'enfant, eh ben l'autre elle peut lui en donner...." Certes....
Il est aussi curieux de savoir comment ça se passe dans mon village, et comment travaillent les couturiers là-bas. J'ai été obligée de lui avouer que les couturiers n'ont pas beaucoup de travail...dans mon village... Je le réconforte en lui disant que ma grand-mère a été couturière.
Au bout de cinq mois, il nous laisse même l'immense honneur de garder la boutique pendant qu'il va à la mosquée. Entre temps, nous avons appris que lorsque l'on ne trouve pas Diallo dans son échoppe en journée, on ne rentre pas forcément bredouille, il suffit de revenir dans 10 min, et il est tout juste revenu de la prière. Les gabonaises font une drôle de tête quand, en arrivant dans la boutique du tailleur, elle trouve une Blanche leur annonçant fièrement : "Diallo va revenir, il est parti à la prière. mais vous pouvez vous asseoir ici pour l'attendre". Quelques mois de plus et je leur proposais un Zu'.
Il y a aussi le fiston de l'autre Diallo qui passe souvent nous voir. Sa mère le laisse à la charge de son père quand elle travaille. Ce gamin a tellement l'habitude des hommes qu'il a peur des femmes. Blanche ou noire, Abou crie quand une femme veut le prendre dans ses bras ou lui faire des bisous, Abou est heureux quand son père et ses amis lui font les pires misères!
Quelques fois il reste sage et regarde Papa travaillait mais quelques fois seulement....
Un bel épilogue sur le tailleur :
Quelques jours après être rentrée en France, repas de famille pour fêter ses retrouvailles. Un coup de téléphone en plein repas! C'est Diallo! Il venait prendre de mes nouvelles et de la famille et des amis et des soeurs.... etc.... De son côté, les nouvelles étaient bonnes aussi à part, qu'"il avait la paresse de travailler depuis que j'étais partie" ;-)
Au Gabon, le tailleur est tout une institution... Meilleur ami des demoiselles comme des moins jeunes. Il tient entre ces mains l'élégance de toutes les femmes gabonaises. Ceux qui me connaisse doivent imaginer à quel point, je m'étais préparée à ce grand moment !
Quelques semaines après mon arrivée, j'enquête autour de moi, on me conseille un certain Diallo... Mais quand on en vient aux directions pour trouver son échoppe, tout devient compliqué!Vanina m'accompagne pour ma première fois, c'est mon initiation à ce dédale de ruelles constituant le marché de Franceville. J'essaye tant bien que mal de prendre quelques repères pour être capable de revenir une prochaine fois : on descend la rue des magasins de tissus, on traverse l'allée des mamas aux légumes (tout en leur promettant de passer les voir après), en arrivant sur l'étal du boucher, on prend à gauche, de nouveau dans le marché couvert, il ne faut pas se tromper entre les deux allées parallèles dessinées par les stands de taule, de bois et de tissus.
C'est celle de droite. Une fois arriver là, plus de doutes, l'échoppe de Diallo est sur la droite. Une pièce carrée recouverte de tissu, éclairée au néon s'ouvre devant nous.
La télé dans le coin de la pièce joue une série télé en hindi, la qualité de l'image ne permet pas de lire les sous-titres.. Heureusement, les histoires d'amour télévisuelles étant les mêmes aux quatre du globe, la compréhension n'en est pas bouleversée.
Ils sont trois à travailler dans cet espace : notre Diallo, son collègue, Diallo et son collègue Zaccharia... Comme beaucoup de tailleurs, ils viennent d'Afrique de l'Ouest, de Guinée plus particulièrement pour eux trois.
Mais je précipite un peu le processus puisqu'avant de passer au tailleur, il faut bien sûr acheter un pagne. Un pagne est un coupon de tissu au format fixe. Il est normalement conçu pour pouvoir faire une jupe, un haut et un fichu dans les cheveux.... tout ça pour une maman africain. Conclusion ça me permet de faire 2 tenues complètes!
Une fois le tissu acheté, on revient donc voir notre ami Diallo. On s'assoit, le fauteuil s'affesse, on y est bien.
La première étape est immuable, comment ça va? Ça va bien. Et la famille ça va? La famille ça va. Et les amis, ça va? Les amis çà va. Et les sœurs ça va? les sœurs ça va... (Par simplification, toutes les femmes blanches sont soeurs...),....
On se décide à sortir le tissu que l'on acheté, et puis le modèle : cela peut être un vêtement déjà existant ou bien une image (dans ce cas le résultat n'est pas assuré).
Après avoir écouté d'une oreille nos explications, Diallo fait une moue sceptique, l'air penseur et pose quelques questions. Attention à ces questions, on a tout de suite une idée sur ce que vient de comprendre/ de ne pas comprendre Diallo. A défaut, il peut aussi te découper une petite maquette du tissu pour que tu puisses visualiser.
Il sort un cahier, sur la couverture duquel un cerf se balade en forêt, ouvre une page au hasard et commence à dessiner tout ce qu'on lui a raconté, note nos mensurations puis découpe des petits morceaux de notre tissu et les colle conscencieusement sur le dessin pour ce se souvenir du tissu qui va avec ce modèle. Le travail se complique quand plusieurs tissus se succèdent sur le même modèle.
Puis notre tissu va rejoindre la trentaine de ces collègues qui attendent déjà le travail de Diallo. En regardant ce monticule, on devient tout de suite sceptique quand il annonce un délai d'une semaine!
Au fur et à mesure des semaines et des samedis après-midi passés à menacer Diallo d'être très fâchée avec lui s'il ne rend pas le vêtement la semaine suivant. On finit par avoir nos petites habitudes : on ne fait presque plus attention à son accent ou à zozotement pourtant, les premières jours il était difficile de comprendre le mot Jupe derrière tous les zup' dont il nous rabattait les oreilles. Tout comme, son invitation à prendre un zu' qui ne prennait son sens qu'après avoir découvert qu'en Gabonais tout soda est jus.
On s'aperçoit assez rapidement qu'il ne commence à travailler sur nos affaires que lorsque l'on est présente. Il faut donc faire la conversation : la vie en Guinnée, la vie en France, le jour où il pourra acheter d'autres machines et recruter d'autres tailleurs pour travailler pour lui, la femme qu'il cherche,.... blabla Au détour des conversations, il essaye assez régulièrement de nous convaincre des bienfaits de la polygamie : " Non, mais tu sais, Marine, lorsque les deux rivales (= les épouses), elles s'entendent bien, bien, bien, bien, le mari, il est content. quand y en a une qu'a pas d'enfant, eh ben l'autre elle peut lui en donner...." Certes....
Il est aussi curieux de savoir comment ça se passe dans mon village, et comment travaillent les couturiers là-bas. J'ai été obligée de lui avouer que les couturiers n'ont pas beaucoup de travail...dans mon village... Je le réconforte en lui disant que ma grand-mère a été couturière.
Au bout de cinq mois, il nous laisse même l'immense honneur de garder la boutique pendant qu'il va à la mosquée. Entre temps, nous avons appris que lorsque l'on ne trouve pas Diallo dans son échoppe en journée, on ne rentre pas forcément bredouille, il suffit de revenir dans 10 min, et il est tout juste revenu de la prière. Les gabonaises font une drôle de tête quand, en arrivant dans la boutique du tailleur, elle trouve une Blanche leur annonçant fièrement : "Diallo va revenir, il est parti à la prière. mais vous pouvez vous asseoir ici pour l'attendre". Quelques mois de plus et je leur proposais un Zu'.
Il y a aussi le fiston de l'autre Diallo qui passe souvent nous voir. Sa mère le laisse à la charge de son père quand elle travaille. Ce gamin a tellement l'habitude des hommes qu'il a peur des femmes. Blanche ou noire, Abou crie quand une femme veut le prendre dans ses bras ou lui faire des bisous, Abou est heureux quand son père et ses amis lui font les pires misères!
Quelques fois il reste sage et regarde Papa travaillait mais quelques fois seulement....
Un bel épilogue sur le tailleur :
Quelques jours après être rentrée en France, repas de famille pour fêter ses retrouvailles. Un coup de téléphone en plein repas! C'est Diallo! Il venait prendre de mes nouvelles et de la famille et des amis et des soeurs.... etc.... De son côté, les nouvelles étaient bonnes aussi à part, qu'"il avait la paresse de travailler depuis que j'étais partie" ;-)